par Joseph, envoyé très spécial de l'Arlequin d'Argile
[les propos tenus ici n'engagent cependant que la responsabilité de son auteur]
-en préambule, une ou deux précisions-
La Guyane est une mosaïque de cultures: terre de très forte immigration (quelques 120 nationalités) dont ni l'Histoire ni l'économie et encore moins la culture n'arrivent pas à cimenter une histoire moderne commune.
Il n'y a donc pas de culture guyanaise, mais des cultures amérindienne, créole, negmarron, annamite, occidentale et des apports culturels libanais, chinois, hmong, laossien, brésilien, haïtien, péruvien, africain etc...
Les Amérindiens ne sont pas Guyanais … de même que les indiens d'amérique ne sont pas étasuniens, ou que les bushmen ne sont pas australiens. Je ne peux me résoudre à l'idée que des peuples dont les territoires s'étendaient par delà les fleuves et les cimes des plus grands arbres soient aujourd'hui parqués et réduits à quémander aides sociales quand ils ne sont pas empoisonnés au mercure, à l'alcool.
Je ne parlerai donc pas de poterie guyannaise, mais bel et bien de poterie amérindienne (Et je dirai même de poterieS amérindienneS car il existe 6 communautés autochtones, mais j'ignore si toutes en font encore de manière traditionnelle.)
Pour en finir avec mes chipotages : je me refuse à utiliser le terme de « céramique » comme équivalent à « poterie ». La poterie améridienne reste quasi-exclusivement utilitaire et traditionnelle. Elle est un artisanat, pas un art, bien que ancrée dans une mythologie. Vous voilà prévenus :D
Aller, suffit de blablater, il est temps de découvrir!
En avant pour l'aventure avec moi ! Et n'oubliez pas vos répulsifs à bébêtes.
premiers pas, premières désillusions :(
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Le touriste lambda repartant de Guyane emportera avec lui, outre de grandioses images tout plein la tête, une maquette de la fusée Ariane, quelques poussières d'or, du vieux rhum et des papillons & monstruosités curieuses sous verre et divers objets d'artisanat en bois précieux locaux. Les plus avertis et accros pousseront le vice a ramener fruits exotiques (bonjour la compote à l'arrivée), pépites d'or, animaux exotiques, pagaies saramaka et la fameuse crevette guyanaise dont je pourrai vous en parler des heures, de la crevette sauvage guyanaise
Mais diable! Personne ne pensera à rapporter une poterie.]
Pour vous dire, j'avais même, à mon arrivée, de sérieux doute sur l'existence d'une tradition potière – ayant vécu 5 ans en Guyane durant mon adolescence sans jamais avoir ouï-dire de poterie ni de près ni de loin (bon j'avais d'autres préoccupations à cet âge là faut dire)
La maison du tourisme de Cayenne, centre névralgique et cœur palpitant de la culture guyanaise, se trouva bien dépourvue quand la question de la poterie artisanale lui fut naïvement posée (par moi).
A la foire d'Octobre de Cayenne, évènement majeur du monde de l'artisanat guyanais, je n'ai même pas vu l'ombre d'une poterie.
Les magasins de souvenir chinois, réputés pour faire passer des araignées africaines pour guyanaises, eux-même n'avaient-ils pas encore flairé le filon de la poterie locale ?
La recherche de poterie en Guyane commençait à sentir mauvais caca-chien comme on dit chez moi
et prenait le même chemin de l'Eldorado, enfiévré et obsédant, pour l'aventurier de la poterie que j'étais
-je me jète des fleurs vous l'aurez remarqué-
pas de pépite, mais des paillettes
La Guyane si elle est un eldorado, est aussi une tour de Babel où le « français petit nègre + les expressions corporelles » font office de langue internationale du commerce.
Un jour comme un autre donc, alors que mon père (vietnamien) baragouinait affaire avec M. Yahoo* (hmong) autour d'une soupe sur la place du marché, j'ose interpeler ce dernier à propos ce qui nous intéresse à cause de ce qu'il est originaire du village mythique de Cacao ;
- M. Yahoo est-ce qu'il y a de la poterie à Cacao ?
- est-ce qu'il y a de la « poitrine » à Cacao ?
-de la poterie ! - et mes mains de mimer la forme généreuse d'un vase...
- de la « poitrine » à Cacao ? - et ses mains de mimer à son tour la forme généreuse d'une femme
- … des vases, des pots en terre!
- ah !!! je vois
- :D
M. Yahoo me confirma ce jour là ce que je savais : que les hmongs ne font pas de poterie, mais de la poitrine de buffle/porc. Mais plus important encore car je ne le savais pas : un «métro» s'était installé récemment comme potier à Cacao et que son commerce avait un certain succès.
La piste était maigre mais comme je voulais absolument aller à Cacao pour d'autres raisons, j'y suis allé aussi pour la poterie.
[a parte]
La route menant à Cacao offre un point de vue remarquable sur la foret primaire majestueuse, s'étendant à perte de vue. Dense et présentant parfois des pelades , il faut savoir que certains de ses princes dépassent les 50m...
* [retranscription phonétique de la langue Hmong], n'a rien a voir avec www.yahoo.com
M. Yahoo a 13 enfants, dont un qui s'appelle Joseph. Mais l'intérêt majeur n'est pas dans cette coïncidence, il est dans le fait que ce joseph là est chasseur de papillons professionnel – et même qu'il est le principal fournisseur des magasins de tourisme de Cayenne, me dit son père gonflé d'orgueil. Et qu'il m'a invité à passer quelques jours à chasser le papillon ! Dont le fameux morpho... et aussi à passer à Cacao pour le nouvel an Hmong ! [histoires a suivre]
Sur la route de Cacao
Par un dimanche matin, je conduisais donc Maman en 4x4 assister à la messe chrétienne au village de Cacao. « Quel dommage que nous arrivame à la fin de la célébration! » m'écriais-je, à cause de l'état des sentiers ! Et pour ceux qui pense que j'ai trainé des roues pour ne pas aller à la messe, je le dis sans arrière pensée: je regrettais ce retard, parce cette épisode dominical m'a rappelé le film
Mission (sublime entre tous, relatant l'évangélisation des amérindiens par les jésuites et la rédemption possible du plus mauvais des hommes touché par la grâce )
parce que la cote menant à l'église donnait sur une belle battisse en bois
dans le style hmong au milieu de la nature sauvage avec au mur des peintures naïves 'd'artistes' locaux, parce que depuis la cote l'on entendait les cantiques en langue hmong et qu'en
atteignant le sommet, je découvre des fidèles dans leur habit traditionnel, en rang selon leur sexe et leur age, tournés vers l'autel et les 3 prêtres : hmong, créole et métro !
Dieu, qui est potier* nul ne l'ignore, écoutera-t'il la prière d'un autre potier en quête de poterie ?
Aide toi et le ciel t'aidera... a oui j'ai failli oublié, aussi je partis à la recherche du potier de Cacao. Oh, pas bien longtemps, son atelier/commerce étant fléché dans le petit village dépourvu de toute signalétique.Le potier s'appelle Jean-Philippe, que dire sinon que sa poterie n'a rien de traditionnelle guyanais...il tourne au tour électrique et cuit au four, sans email, des pots de terre nériée polies, sans beaucoup de charme selon moi. Je passe aussi vite que ma déception est grande.
* ça me rappelle (pas très bien) une très belle histoire, tirée d'un film dont j'ai oublié le titre.
3 enfants juifs devaient passer une épreuve initiatique en répondant à une contreverse théologique : « de quel couleur de peau était Adam ?» Le premier enfant blanc répondit à brule pourpoint parce qu'il savait par cœur le verset idouane , mais avec toute la retenue qui seyait à un sacrement, Adam était blanc de peau etc...
Le second enfant noir, moins assuré ne serait-ce que par son plus jeune age sinon par la démonstration patente du premier, réussit également à épater le parterre venu le juger, Adam était noir de peau etc...
Notre troisième enfant éthiopien adopté par une famille blanche n'avait pour lui ni la connaissance parfaite des écritures saintes et encore moins la couleur de peau qui vient appuyer son propos, car il répondit qu'Adam était Rouge de peau, parce qu'il était fait d'argile. Ce à quoi tout le public venu assister à cet escrime théologique applaudit de bon cœur, peut être pour saluer la logique et la victoire de l'enfant devenu jeune homme, mais certainement soulagé qu'une telle contreverse qui facilement aurait pu apporter une pierre à l'édifice de la haine, retombe comme le soufflet plein d'air.
En cet instant, je ne sais pas si les larmes de joie de l'enfant éthiopien avaient conscience de la grâce qu'elles apportaient aux spectateurs devant l'écran. Enfin moi j'en ai pleuré.
[to be continued]