La route qui mène au lieu-dit file droite dans la nuit comme nous dans la gueule du loup. A peine sorti de la ville, j'ai l'impression de laisser derrière moi une oasis de lumière blafarde dans la vitre arrière de la 4x4; mais déjà la forêt encore plus sombre que la nuit, recouvre de son linceul noir Cayenne endormie.
Loin des hommes et du temps, nous somme maintenant seuls contre le ciel et la foret, dans le combat primitif de l'homme contre la nature où le tenant en titre si fort de sa réputation et de son palmarès, ne fera qu'observer et poussant à la faute, se joue de nous comme le chat de la souris, ou le destin des hommes.
Mais pour l'instant, le ciel clément observe à travers ses milles yeux brillants dispersés constellant la voûte noire. Le regard céleste immense et profond trompe par sa bienveillance et me berce des mythologies grecques pourtant cruellement annonciateur de fatalités. Car si le ciel apaise, - douce nuit tu n'as jamais été aussi hypnotique- c'est pour que la foret, cette sclérotique noire comme l'encre et dure d'où aucun espoir ne semble émerger, rampe par les frontières et contourne ma vigilance charmée.
Ce qui rend la forêt tropicale aussi effrayante, par delà le noir et le non visible, c'est de savoir que la vie et la mort y sont amants passionnés, et que les fruits de leur amours féconds sont maudits : ici plus qu'ailleurs la mort donne la vie qui donne la mort, à foison et sans fin, interchangeable. En d'autres termes, la vie et la mort prennent en forêt des raccourcis contre-natures: La pouponnière et le cimetière sur un même lieu et un même temps, l'un se nourrissant de l'autre et inversement.
La chasse en forêt vient bouleverser cette règle implicite qui veut que pour prendre il faut donner dans les mêmes proportions. La transgression de la loi entraine une sanction. Dieu, pourvu que ce soir nous rentrions brecouilles mais vifs !
Le round d'observation céleste fut enchanteur, la suite promettait d'être physique puisqu'il fallait pénétrer dans les entrailles de la bête. C'est armé d'une frontal, d'un coupe-coupe et d'un calibre 12 pour tenir en respect respectivement la nuit, le végétal et l'animal, que je me suis engouffré dans l'ennemi. Y aller en journée est un jeu d'adulte, y retourner le soir devient un jeu de fous : aucun repère visuel puisque même l'obscure clarté du ciel n'arrive pas à transpercer le faîte, aucun repère auditif tellement les insectes draguent et baisent sans vergogne, enfin l'impression d'être menotté de toute part par une végétation grise et marron comme mort-vivante, couronnée d'épines ou d'insectes à épines. Pourtant. Pourtant quand les frontales s'éteignent et annulent les ombres, et que le noir exige que plus personne ne bouge ni ne parle, alors le faîte se perse de faibles lumières, plus faibles que la froide lumière des insectes illuminés. Jamais noirceur n'aura été aussi belle. Je suis KO, la forêt a gagné par KO.
Une partie de chasse a cela de drôle que même si aucun coup de feu n'aura été tiré, il y aura toujours un truc à raconter. Et pas forcément ce à quoi on pouvait s'attendre.
Bon, on est quand même reparti brecouille avec des poux d'agoutis..
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